Par: Mame Penda Ba, politiste (LASPAD, UGB Saint-Louis) et Pape Chérif Bertrand Bassène, historien (LASPAD, UGB Saint-Louis)
[English translation available below]
Précédemment, nous avions proposé en guise “d’introduction au conflit en Casamance“, les “enseignements à tirer pour la consolidation de la paix”. Nous l’avons dit, la véritable “consolidation de la paix” implique l’utilisation de discussions et de stratégies inclusives. Nous lions ceci à notre série en cours qui se penche sur l’humanitarisme et le mouvement #MeToo en Afrique. Ainsi, dans la présente contribution, il s’agit de nous intéresser à l’historicisation de la Casamance ou plutôt à la sénégalisation des féministes africaines historiques comme facteur de consolidation de la paix. En racontant l’histoire moins connue de la Prêtresse AlañDi-so Bassène, nous cherchons à mettre en évidence le rôle essentiel que les femmes doivent avoir dans la consolidation de la paix en Casamance.
L’intégration de figures casamançaises comme la prêtresse Aliin Sitoé Diatta dans la mémoire collective sénégalaise va débuter réellement dans les années 1990, en réponse aux potentielles raisons que le mouvement indépendantiste pourrait exploiter pour justifier sa cause. Il faut souligner que dans sa protestation, le MFDC qui avait manifesté pacifiquement en 1982 pour réclamer l’indépendance, mettait à l’avant les formes de résistances pacifiques menées par des femmes telles que Kouyito, Aliin Sitoé, AlañDi-so (Alandisso); des résistantes pacifistes certes mais singulièrement charismatiques et féministes, symboles d’une “Casamance par les Femmes.” L’équivalent d’un tel symbolisme au niveau national se réduisait à l’expression “Jigeen ju man goor” chantée par Youssou Ndour (Miss yi, 1998) pour héroiser la femme en référence à des personnages historiques du Sénégal (Toliver, 2005).
Dans cette concurrence mémorielle entre l’Etat et le MFDC, les médias d’Etat théatralisèrent la figure d’Aliin Sitoé Diatta à travers des récits griotiques qui participaient de la sénégalisation de cette héroïne. Tandis que, le caractère charismatique et féministe de sa résistance était occultée empêchant ainsi de prendre en charge un pan entier d’une histoire identitaire pacifiste mise à l’avant par le MFDC et historiquement portée par des femmes. Et parmi celles-ci qui portent l’histoire de la Casamance, nous allons nous intéresser plus particulièrement à la prêtresse Alandisso Bassène (Baum, 2015).
À la fin du XIXe siècle l’autorité coloniale militairement présente en Casamance, se permettait d’établir des amendes aux populations pour de multiples raisons dont l’impôt de capitation, l’interdiction de respecter les pratiques culturelles cataloguées dans le registre de la sorcellerie. Cette condamnation des systèmes de croyances locales n’était pas uniquement le fait de l’administration coloniale, le missionariat qui apparaissait à la fois comme allié et rivale du pouvoir colonial apportait aussi son lot de considérations par rapport à ces cultes indigènes.
Les missionnaires, faut-il le rappeler, s’intéressaient avant tout et de près aux traditions locales dans le seul but de réussir leurs missions sacerdotales. C’est dans un tel contexte que le Père Esvan, curé de Ziguinchor, avait attiré l’attention du pouvoir militaire colonial sur les prophéties d’une femme du nom d’AlañDi-so Bassène qui apparaissait sous la figure de l’antéchrist, ce qui lui valut d’ailleurs le surnom de “La prêtresse de Satan” (Meguelle , 2008).
Née vers 1895 et mariée quand elle devait être entre ses 18-20 ans, AlañDi-so Bassène après une vie de couple sans enfant décida de divorcer. Vraisemblablement soupçonnée d’être le facteur principal de l’absence d’enfant, elle décidait de fonder une secte basée sur les convictions des systèmes religieux traditionnels, et exhaussa un autel de [k/gagnalenn] encadrant les questions de stérilité (l’autre forme traite des questions de mortalité enfantine). Akhumanding (“commandant de cercle”), nom de son autel en référence au symbole de la colonisation, rassemblait des femmes qui avaient des problèmes de fécondité (Bassène, 2011).
La prêtresse était par ailleurs opposée au recrutement des jeunes hommes qui fournissaient de chair à canon lors de la Grande Guerre et des conflits entre puissances coloniale. Elle leur concoctait des bains mystiques qui les rendaient provisoirement inaptes lors des recrutements. Elle avait un message constant, les étrangers, plus particulièrement les Français et les Tirailleurs sénégalais n’étaient pas chez eux et devaient repartir. Elle voyait leur présence comme une menace qui plongeait la Casamance dans la disette, l’émasculation et le dépeuplement. Mais d’un autre côté, leur présence avait servi à valider l’efficience de son autel ; les militaires la surnommaient, “Proserpine, la reine des enfers” (Hunsec, 1989).
“Prospérine, la reine des enfers” provoqua en effet un bouleversement social notable : rejointes par des femmes stigmatisées pour leur infertilité supposée, elle autorisait les militaires à accéder à ces femmes dans sa communauté de [k/gagnalenn]. La “Dame de Djibélor” démontrait ainsi que ses protégées n’étaient pas stériles comme le prouvaient les nombreuses grossesses qui résultaient de ces relations.
Alandisso à travers Akhumanding matérialisait le statut de la femme dans la société Ajamaat, dont on dit qu’à “l’encontre de ce qui se voit dans les populations plus ou moins influencées par l’Islam, l’épouse diola conserve toutes les prérogatives de la femme libre, et prête à prononcer la première le divorce” (Annales religieuses de la Casamance, 1920). Et les pratiques culturelles qu’elle défendait étaient aux antipodes du message des missionnaires.
Les Pères spiritains reconnaissaient que, parmi les nombreuses difficultés de leur ministère en Casamance, “la plus grande, sans contredit, c’est de maintenir la bonne entente entre les époux unis légitimement”. En effet, les religieux constataient que les Ajamaat non seulement ne “pratiquaient pas la polygamie simultanée; mais la facilité avec laquelle les époux se séparent pour de petits différends de ménage, n’a d’égale que celle que met parfois l’épouse elle-même à donner, la première, le signal de la séparation” (Annales religieuses de la Casamance, 1920). Or, leur mission consistait à convertir mais aussi à bâtir des couples de croyants unis et éloignés des pratiques que préconisait la prêtresse.
Relevons rapidement, que le combat d’Alandisso Bassène revêtait à la fois un caractère politique et religieux. C’est dans ce contexte que le pouvoir colonial lui intenta un procès politique durant le premier trimestre de 1919. Elle fut jugée et condamnée à l’emprisonnement à perpétuité, jugement ratifié par le Tribunal de Saint-Louis en octobre 1919. Mais même en prison, les prisonniers avaient “un respect sacré pour elle, car d’elle seule ils attendaient leur délivrance” (Hunsec, 1989). Grâce à une remise de peine du Président de la France, elle ne fit que 15 ans de prison et fut libérée en juin 1934.
A sa sortie, elle continua à servir son autel. La seconde guerre mondiale allait l’amener une nouvelle fois à combattre les recrutements de tirailleurs, mais elle n’était plus seule avec l’engagement d’une autre prêtresse du nom d’Aliin Sitoé Diatta ; l’audience des deux prêtresses ne fit que s’étendre dans toute la sous-région avec l’affluence vers leurs autels respectifs. Alandisso Bassène dont la prêtrise précéda celle d’Aliin Sitoé Diatta, se considérait néanmoins après la déportation de cette dernière en 1943, comme détentrice de sa pensée religieuse (Bassène, 2011).
Elle mourut en 1955 sans ses traditions certes, mais aussi sa riche culture et sa façon de concevoir les idéologies adventives, à l’image même de son nom ajamaat : AlañDi-so (celle qui retourne avec…). Néanmoins, elle aura fortement contribué à déterminer les droits des femmes dans les sociétés ajamaat.
Cette contribution nous a permis de citer les noms de trois figures féminines de la résistance en Casamance : Kouyito, Aliin Sitoé, AlañDi-so. La première citée, surnommée Kouyito, est du village de Tendouck sur la rive nord du fleuve Casamance. Retenons que, comme les deux autres résistantes, elle avait invité les populations à désobéir le pouvoir colonial qui entravait non seulement les valeurs culturelles et cultuelles, mais mettait surtout en péril les cadres traditionnels de régulation sociale. Plus que leurs trajectoires historiques, nous voudrions privilégier l’étude de cas de leurs luttes en rapport aux débats modernes. L’histoire de la Prêtresse AlañDi-so Bassène permet surtout de comprendre le rôle primordial que les femmes doivent occuper dans la consolidation de la paix en Casamance.
English version
Feminist non-violent resistance in Casamance: AlañDi-So Bassène (1913 – 1940)
By: Mame Penda Ba, political scientist (LASPAD, University of Gaston Berger Saint-Louis) and Pape Chérif Bertrand Bassène, historian (LASPAD, University of Gaston Berger Saint-Louis)
In a previous post, we proposed « lessons for the consolidation of peace » as an introduction to the conflict in Casamance, Senegal. We argued that a genuine peace process requires inclusive strategies and discussions. We tie this into our ongoing series which has been looking at humanitarianism and the #MeToo movement in Africa. In this post, we address how certain key historical African feminists have become « Senegalised, » and how this is a factor in attempts to establish peace in the region. In telling the lesser known history of the Priestess AlañDi-so Bassène, we seek to highlight the essential role that women must have in the consolidation of peace in Casamance.
The integration of Casamance women like the priestess Aliin Sitoé Diatta into the collective memory of Senegal as a whole began in the 1990s, in response to the potential for the independence movement to exploit these women to justify their cause. It is important to emphasize that the Movement of Democratic Forces of Casamance (MFDC) rebel group had employed pacific means in 1982 to claim independence, advocating in favor of the kinds of passive resistance that had been led by women such as Kouyito, Aliin Sitoé, and AlañDi-so (Alandisso). These resisters were not simply pacific, but also singularly charismatic and feminist; symbols of a « Casamance of and by Women ». Such nationalist symbolism was expressed in the line « The woman who is more than a man » from the 1998 Youssou Ndour song « Miss yi » to heroize the woman as a historical personnage in Senegal (Toliver 2005).
Both the state and the MFDC rebel group engaged in particular strategies in their competition to control the memorialization of these women. State media used the theatrics of griot recitations to Senegalize Aliin Sitoé Diatta as a heroine. This masked the charismatic and feminist character of her resistance, however, preventing the ability to see the entirety of her pacifist identity, which was put forth by the MFDC and historically by women themselves. And among these women who exemplified the history of Casamance was the Priestess Alandisso Bassène (Baum 2015).
At the end of the 19th century, the colonial military authority in Casamance imposed fines on the population for multiple reasons, among which was a tax on every person and the prohibition of cultural practices categorized as « sorcery » in the colonial registry. This condemnation of local systems of belief was also supported by missionaries, who presented themselves as both allies and rivals of colonial administrative power but who added their objections to the practice of indigenous religions.
We must remember that the missionaries were above all interested in whether the practice of local traditions could impede their own clerical goals. Father Esvan, the curate of Ziguinchor, called the attention of the colonial military power to the prophecies of a woman named AlañDi-so Bassène, who appeared to be the anti-Christ, an assumption that accorded her the name « the Priestess of Satan » (Meguelle 2008).
Born about 1895 and married when she was between 18 and 20 years old, AlañDi-so Bassène decided to divorce after not being able to become pregnant. Apparently suspicious of being the cause of her childless condition, she decided to found a sect based on traditional religious convictions and established a shrine [k/gagnalenn] for questions of sterility (the other form of [k/gagnalenn] is for child mortality). She named her shrine Akhumanding or “District commander”, in reference to the symbol of colonization, gathering there women who had fertility issues.
This priestess also opposed the recruitment of young men as canon fodder for the French troops in World War I, the great conflict among colonial powers. She concocted a mysterious bath that rendered the men temporarily unfit to serve when recruiters came through. Her consistent message was that foreigners, and especially the French and Senegalese soldiers, were not welcome and had to leave. She saw their presence as a threat that would force Casamance into emasculation, famine, and depopulation. Conversely, their presence also served to validate the efficacy of her shrine; the military named her « Proserpina, the queen of hell » (Hunsec 1989).
« Prosperina, the queen of hell » essentially provoked an impressive social revolution : joined by women who had been stigmatized by their alleged infertility, she authorized the soldiers to go to these women in her Akhumanding community. The « Woman of Djibélor » decisively demonstrated by the many pregnancies that resulted from these relationships that her protegées were in fact not sterile at all.
Through Akhumanding, Alandisso represented the status of women in the Ajamat (what the Joola ethnic group used to call themselves) society, who were said to be « contrary to practices more or less influenced by Islam, the diola wife maintained all the prerogatives of the free woman, and were the first to file for divorce » (Annales religieuses de la Casamance, 1920). Moreover, the cultural practices these women protected were also opposed to the message of the missionaries.
The Spiritan Fathers realized that, among all of the hardships of their ministry in Casamance, the most difficult, without a doubt, concerned how to maintain good relations between spouses who were legitimately married. The missionaries effectively acknowledged that «the Ajamaat not only did not practice polygamy; but the ease with which married couples separated, sometimes simply because of minor differences regarding household affairs, is only equaled by the fact that the wife was often the first to decide in favor of separation » (Annales religieuses de la Casamance 1920). Their goal was not only to convert the people, but also to create long-term married couples who would no longer engage in the practices of the Priestess.
Moving forward, Alandisso Bassène’s efforts connect to both political and religious struggles. The colonial power brought a political case against her in the first part of 1919. She was convicted and imprisoned for life, a judgment ratified by the Tribunal of Saint-Louis (the capital of francophone Africa) in October 1919. However, even in prison, the other prisoners demonstrated « a sacred respect for her, because she alone believed in their eventual freedom. Thanks to a pardon by the French president, she served only 15 years of her sentence and was freed in June 1934.
When she left prison, she went back to her shrine at Djibelo (The Woman of Djibelor). The Second World War would once again compel her to combat the recruitment of soldiers in her region, but she was no longer alone in this regard – another priestess called Aliin Sitoé Diatta joined her in her work. The reputation of their respective shrines caused the numbers of followers of the two priestesses to grow throughout the entire sub-region. The ministry of Alandisso Bassène thus preceded that of Aliin Sitoé Diatta, who was nevertheless considered to be the bearer of religious thought in the region after the French deported her in 1943 (Bassène 2011).
Alandisso Bassène died in 1955, with her traditions and rich culture intact, as well as her interpretation of new ideologies : (AlañDi-so means “she who returns with”…) . She made a significant contribution to the rights of women in the Ajamaat societies.
Because of her contribution, we can honor the names of the three female figures of the Casamance resistance : Kouyito, Aliin Sitoé, and AlañDi-so. The first resister mentioned, known as Kouyito, was from Tendouck on the northern shore of the Casamance River. It should be remembered that, like the two others, she had also called for the disobedience of the colonial laws which not only impeded cultural and religious values, but also endanger the traditional modes of social regulation.
But even more important than their inclusion in the historical record is the study of their struggle in connection to contemporary debates. The history of the Priestess AlañDi-so Bassène allows us above all to comprehend the essential role that women must have in the consolidation of peace in Casamance.
Featured image source: YZ Art