By : Ndéye Ami Diop, Université Gaston Berger
Ce 15 mai 2018 Fallou Séne, un étudiant en deuxième année à l’UFR (Unité de formation et de recherche) des lettres et sciences humaines de l’université Gaston Berger de Saint-Louis, est décédé des suites d’une blessure par arme à feu au niveau du bassin. Le drame est survenu à l’occasion de manifestations appelées « fronts » dans le langage estudiantin. En effet, après deux semaines de retard de paiement de leur bourse, les étudiants voulaient faire ce qu’ils appellent communément des JST (Journées Sans Tickets) c’est-à-dire de manger gratuitement dans les restaurants universitaires publics. C’est quand ils se sont rendus aux dits restaurants pour prendre le petit-déjeuner sans payer (le ticket de 75 Fcfa pour le petit-déjeuner et 150 Fcfa pour le déjeuner et le diner) qu’ils ont été empêchés d’accéder aux locaux par les forces de l’ordre auxquels les autorités avaient fait appel. A la suite de cela que les étudiants se sont rendus sur la route nationale n°2 devant l’université pour barrer la circulation et faire entendre leurs doléances. Ils se sont ainsi confrontés à ces mêmes forces de l’ordre qui, face aux jets de pierres, traditionnelles armes des étudiants dans ces circonstances, ont utilisé des balles réelles, causant la mort de Fallou Séne âgé de 26 ans, marié et père d’un enfant. Il y a aussi eu des blessés graves dont un autre étudiant évacué à l’hôpital dans un état de coma.
Cette bavure policière n’est pas nouvelle dans le paysage universitaire sénégalais. On se souvient d’autres victimes des forces de l’ordre suite à ce même type de manifestations : Balla Gaye en 2001 et Bassirou Faye en 2014. Le paiement des bourses cause souvent des problèmes. Quand le gouvernement parle de question de disponibilité des fonds, la CESL invoque un problème de volonté et de priorité.
Cette dernière manifestation étudiante rejoint une longue histoire d’activisme des étudiants à travers le continent sur de nombreux sujets, y compris les coûts croissants de l’éducation et la lutte contre les héritages coloniaux dans l’enseignement supérieur. Le blogue du CIHA a couvert certaines de ces manifestations étudiantes récentes ici et ici.
Ce drame à l’instar des précédents a provoqué une vague de colère et de protestations. C’est ainsi que des manifestations émaillées de violences ont été enregistrées à l’UGB, et dans toutes les autres universités publiques du pays et ce, pendant plusieurs jours après cette tragédie. Lors de ces manifestations, le rectorat et la direction du CROUS (Centre Régional des Œuvres Universitaires de Saint-Louis) ont été en partie brulés, les locaux des différentes UFR saccagés et la maison du ministre de l’enseignement supérieur à quelques kilomètres de l’université, mise en sac. Des violences ont aussi été notées aux universités Cheikh Anta Diop de Dakar et Assane Seck de Ziguinchor. Des voitures de polices et de particuliers ainsi que des bus de transport ont également été détériorés et des pneus brulés sur les routes.
La coordination des étudiants de l’UGB avait aussi décrété une grève illimitée en réclamant le départ des autorités jugées responsables, en l’occurrence le ministre de l’enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation (ancien recteur de Gaston Berger), du ministre de l’économie et du plan, du ministre de l’intérieur ainsi que la démission du recteur de l’UGB et du directeur du CROUS. La majorité des étudiants a également déserté le campus. Le SUDES (Syndicats Unitaire et Démocrate des Enseignants du Sénégal / Enseignement Supérieur et Recherche) a aussi décrété trois jours de grève et pointe la responsabilité du gouvernement et demande la mise en place d’une commission d’enquête indépendante dont il souhaite faire partie pour en garantir la neutralité et pour empêcher que cet évènement ne connaisse le même sort que les précédents commis dans l’enceinte des campus universitaires. Le SUDES invite par la même occasion les autorités rectorales à moins faire appel aux forces de l’ordre pour éviter les bavures policières de ce genre.
Finalement le recteur de l’UGB et le directeur du CROUS ont été limogés. Le procureur de la république de Saint-Louis a fait une conférence de presse affirmant qu’une enquête judiciaire est ouverte pour entendre tous les membres de l’escadron territorial de Saint-Louis en intervention ce jour-là ainsi que les blessés et que celle-ci sera bouclée au plus tard à la fin de la semaine. Les responsabilités seront donc situées et la loi appliquée dans toute sa rigueur selon les mots du ministre de la justice.
Il y’a eu un aveu le soir même des faits et en 5 jours le procureur de Saint-Louis a terminé son enquête, et l’a transmise au procureur de Dakar. Ce dernier n’a cependant pas encore communiqué là-dessus. D’après la CESL (Coordination des Etudiants de Saint-Louis) la justice sur cette question est bloquée faute de la délivrance d’un ordre de poursuite de la part du ministère des forces armées à cause de questions de « corps ». Dans ces conditions le procureur a les mains liées et reste dans le silence trois semaines après les faits. Quant au Président de la République, il a juste martelé que « justice sera faite » lors de sa rencontre du 28 mai avec les représentants des étudiants. Cette rencontre a abouti à la réduction des tickets et l’augmentation des bourses, ce qui est considéré par la CESL comme un « hors sujet » car la revendication des étudiants était le paiement à temps. Et la CESL se demande aussi comment un gouvernement qui ne parvient pas à payer les bourses à temps en l’état actuel réussira-il à le faire une fois que celles-ci seront augmentées? En fin de compte les représentants d’étudiants sont sortis divisés de cette rencontre et les autres universités ont repris les cours.
Le président de la république a également remis 10 millions de Fcfa et deux billets pour le pèlerinage à la Mecque à la famille de l’étudiant Fallou Séne. Son fils déclaré pupille de la nation sera pris en charge jusqu’à sa majorité et sa veuve se voit intégrée dans la fonction publique. Mais ce qui soulève l’indignation, c’est le fait que ces mesures n’avaient pas été prises lors des décès de Bassirou Faye et de Balla Gaye qui réclamaient tous leurs bourses avant de périr. Cet acte n’est-il donc pas tout simplement politicien quand on sait qu’on s’approche des échéances électorales de 2019 ? Quoiqu’il en soit, les étudiants ont finalement repris le chemin des Amphis le 25 juin dernier, mais la CESL continu de réclamer le limogeage des trois ministres mis en cause.
L’affaire est donc à suivre tout en espérant que ce cas-ci sera celui qui permettra de mettre fin à la politique de l’impunité dans ce pays sur les meurtres d’étudiants et qu’il sera l’occasion de clarifier et de respecter les franchises universitaires et de régler la question du retard de paiement des bourses des étudiants.
[In English]
The Death of Fallou Sene, Student at Gaston Berger University : One More Death, One Death Too Many !
By : Ndéye Ami Diop, University of Gaston Berger
On May 15, 2018, Fallou Sene, a second-year student at the Training and Research Unit, Letters and Human Sciences, Gaston Berger University in Saint-Louis, Senegal, died from gunshot wounds to his pelvis. The crisis came during student demonstrations, called « fronts » by organizers. After two weeks of going without their financial aid, the students decided to organize what they called « ticket-free days » when they would eat without paying at the public university restaurants. When they arrived at the canteens to get their breakfasts (breakfast typically costs 75 West African CFA or 0.11 euro; lunch and dinner cost 150 West African CFA or 0.22 euro), the police (called by the authorities) prevented them from entering. The students then reconvened at Route 2 in front of the university to block traffic in order to give voice to their grievances about the non-payment. They came face-to-face with the same police, who responded to the students’ rock-throwing with live bullets, killing Fallou Sene, a 26 year-old man with a wife and young child. Others were gravely injured, including one student evacuated to the hospital in a coma.
Such police actions are not new in the landscape of Senegalese universities. We remember other victims of police violence during similar demonstrations : Balla Gaye in 2001 and Bassirou Faye in 2014. The payment of student scholarships and financial aid is frequently riven with problems. When the government calls into question the availability of funds, the Coordination des Etudiants des Saint-Louis (CESL) invokes problems of will and prioritization.
This latest student protest joins a long history of student activism across diverse parts of the continent on many issues including the rising costs of education and addressing colonial legacies in higher education. CIHA Blog has covered some of these recent student protests here and here.
This drama, similar to preceding ones, provoked a wave of anger and protests. Thus demonstrations hardened by violence took place in the days after the tragedy, at University of Gaston Berger (UGB) as well as other public universities across the country. During these demonstrations, the administration building was partially burned down, several Research and Training Unit offices ransacked, and the house of the Education Minister (several kilometers from the university) pillaged. Violence also occurred at the University of Cheikh Anta Diop in Dakar and the University of Assane Seck in Ziguinchor. In particular, police cars and transport buses were destroyed and tires burnt along the routes.
The organizing body of students at UGB had also decreed an indefinite strike, demanding the departure of officials they deemed responsable, including the Minister of Higher Education, Research and Innovation (who was also the former Rector at the University of Gaston Berger), the Minister of Economics and Planning, and the Minister of the Interior, as well as the firing of the University of Gaston Berger’s Rector and the Director of Regional Center for University Works of Saint Louis (CROUS). Most students have left the campus. The SUDES (Democratic Union of Teachers in Senegal) also declared a three-day strike, pointing to the government’s responsibility and demanding the creation of an Independent Commission of Inquiry, which would include the Union’s participation so as to guarantee its neutrality and also prevent the inquiry from being buried (like preceding ones) by campus administrators. SUDES also demanded that campus authorities at the very least call on the police to avoid such misuses of force in the future.
In the end, the Rector of UGB and the Director of CROUS were both fired. The prosecutor in Saint-Louis held a press conference affirming that a judicial inquiry had been opened to interview all members of the Territorial Unit on duty that day, as well as those who were wounded, within a week. According to the Minister of Justice, those responsible would be prosecuted to the full extent of the law.
The prosecutor obtained a confession, completed the inquiry after five days, and transmitted the findings to the prosecutor in Dakar. The latter, however, has still not released them to the public. According to the CESL (Student Coordinating Body of Saint-Louis), justice is blocked because the Minister of Armed Forces has ordered proceedings to be brought on questions of « corps », corporation and guild fellowship. Under these conditions, the prosecution’s hands are tied ; it has remained silent weeks after the events. As for the President of the Republic, he merely hammered home the promise that « justice would be served » in his meeting with student representatives on May 28. This meeting resulted in the reduction of meal tickets and the augmentation of scholarship aid packages, which the CESL considered an avoidance of the problem, because the students’ grievance is the timely payment of their scholarships. Moreover, the CESL asks how the government, which did not manage to pay scholarships on time until now, can possibly pay higher amounts in a timely manner ? At the end of the day, the student representatives left this encounter divided, and students at other universities have taken up courses.
The President of the Republic awarded 10 million FCFA and two tickets to Mecca to the family of Fallou Sene. His son, declared pupil of the state, was accorded most of the money and his widow will be integrated into government service by being given a position in the civil service. But what caused indignation was the fact that similar measures were not taken in the cases of Bassirou Faye and Balla Gaye, who claimed their grants before their deaths and died during demonstrations to claim their financial aid. In effect, was this not simply the act of a politician who knows he is approaching his next electoral competition in 2019 ? Whatever the interpretation, the students finally returned to the lecture halls on June 25th, but the CESL is still demanding that the three ministers in question be fired.
We follow these events in the hope that they will put an end to the politics of impunity in Senegal regarding the killing of students; that it becomes an opportunity to clarify and respect the right to academic freedom and to allow students to receive their payments to be able to continue their studies.