L’ASAA Une Scene Intellectuelle Pour La Decolonisation Des Etudes Africaines

Par: Ndeye Ami Diop*

L’ASAA (African Studies Association of Africa) a été créée en 2013 au cours des célébrations du 50eme anniversaire de l’IEA (Institut d’Etudes Africaines) de l’Université du Ghana, Legon. La communauté intellectuelle réunie autour de l’ASAA se donne pour objectif de « promouvoir les contributions spécifiques de l’Afrique à l’avancement des connaissances sur les peuples et les cultures d’Afrique et de la diaspora africaine », dans une perspective de décolonisation des études africaines. Elle se présente actuellement comme étant « la seule association professionnelle multidisciplinaire et transdisciplinaire sur le continent dédiée à l’étude de l’Afrique d’un point de vue africaniste ».

Cependant il convient de noter que la quête d’une voix authentique des Africains et Africaines sur l’Afrique n’est pas nouvelle. Déjà dans les années 1940 au moment où le monde était en plein dans la grande guerre, l’Afrique à travers sa diaspora murissait l’idée de se doter d’institutions dont l’objectif affiché était de produire un discours original sur elle-même. Comme le souligne Alioune Diop, fondateur de Présence africaine (1947), la diaspora africaine était animée par le sentiment de constituer « une race nouvelle, mentalement métissée » (Diop, 2002 : 20) se trouvant par là même dans une situation on ne peut plus complexe. A ce propos Diop affirmait : « des déracinés ? Nous en étions dans la mesure précisément où nous n’avions pas encore pensé notre position dans le monde et nous abandonnions entre deux sociétés, sans signification reconnue dans l’une ou dans l’autre, étrangers à l’une comme à l’autre.» (Diop, 2002 : 20). Soulignons que cette recherche identitaire s’effectuait dans le contexte d’une Europe qui était elle-même en proie à des tourbillonnements internes. Et c’est dans cet environnement de profonde remise en question que la revue présence africaine a été fondée et deviendra plus tard, en même temps une maison d’édition.

Toujours dans cette perspective de renouvellement de la pensée, il y’a aussi l’exemple du CODESRIA (Conseil pour le Développement de la recherche en science sociale en Afrique) qui a été créé en 1973, sous l’auspice de l’institut des Nations Unies pour le Développement et la Planification (IDEP), et d’intellectuels exerçant le métier d’enseignant-chercheur qui partagent la même volonté de « définition d’un  paradigme africain dans les sciences sociales » (Amselle, 2008 : 65). Dans ce cadre, il est question de briser le monopole de l’africanisme occidental considéré comme un savoir extraverti et exogène. La voie choisie par le CODESRIA est celle d’une discrimination positive  qui garantirait un cadre idéal aux des chercheurs africains. L’idée est que ces chercheurs seront plus en mesure, compte tenu de la spécificité de l’histoire africaine et de celle de ses problèmes, d’arriver à trouver des voies et moyens de sortir du sous-développement.

Ces exemples, entre autres, nous montrent que le débat sur la désaliénation des études africaines est ancien et les contours du problème analysés. Il en ressort que la tradition intellectuelle africaniste a été dès le début marquée par des paradigmes allogènes aux pesanteurs historiques et aux contextes socioéconomiques des sociétés africaines. Ces paradigmes allogènes provoqueront à leur suite des contre-discours fortement marqués de leurs empreintes. Fort de tout cet héritage académique, la manière de penser et d’écrire l’Afrique pose un défi aux sciences sociales. Ainsi depuis plusieurs décennies une problématique se pose chez plusieurs penseurs et enseignants-chercheurs à travers des communautés intellectuelles et aussi dans des cadres universitaires. Il s’agit de celle de la sortie de ces modèles paradigmatiques dominants par le renoncement aux visions classiques et le renouvellement épistémologique.

Même si elle est récente et ne vient de souffler que sa quatrième bougie, l’ASAA est un espace intellectuel africain dont l’ambition reste une volonté de participer à ce mouvement qui cherche à briser le monopole de l’africanisme occidental. Dans le cadre de cette association, une importante littérature a été produite à cet effet et surtout sur le plan épistémique et idéologique. Ceci est d’autant plus important qu’il y’a dans cette entreprise de reconfiguration ou rénovation des études africaines deux projets solidaires : la critique des paradigmes exogènes dominants et l’auto-positionnement du sujet lui-même en acteur pour l’avènement de nouveaux paradigmes.  Dans cette perspective, Mamoussé Diagne souligne que « la critique de ces schèmes et concepts apparait ainsi comme le préalable à toute critique de l’ordre qui les engendre et les fait fonctionner, dont ils assurent en retour la pérennité théorique et pratique » (1992 : 110). Le travail de rupture et de refondation des cadres paradigmatiques susceptibles d’engendrer un discours novateur passe donc nécessairement par le travail des intellectuels et plus systématiquement des scènes intellectuelles africaines si tant est que, comme le souligne Diop dans son dernier message à l’Afrique et au monde en 1980, la tache de l’heure est de « ressusciter et d’animer le pouvoir et l’initiative intellectuels de l’Africain (inséré dans son milieu naturel et socio-culturel) afin de le mettre à même d’exercer sa responsabilité de juger directement à même les réalités nationales et internationales ».

Mais ce travail de rupture et de refondation idéologique et paradigmatique  s’accompagne-t-il de suffisamment d’études empiriques et de productions théoriques ? Dans tous les cas, ces autres dimensions heuristiques sont tout aussi essentielles voire primordiale pour l’avènement de la rupture et de la refondation affichées dans les objectifs des scènes intellectuelles africaines en général  et de l’ASAA en particulier.

Référence:

AMSELLE Jean-Loup, L’occident décroché, Enquête sur les postcolonialismes, Paris, stock, 2008.

DIAGNE Mamoussé, Contribution à une critique du principe des paradigmes dominants, in KI-Zerbo Joseph (dir.) « La natte des autres. Pour un développement endogène en Afrique », CODESRIA, 1992 pp. 109-119.

DIOP Alioune, Niam n’goura ou les raisons d’être de Présence Africaine, in Présence Africaine, «  Penser l’Afrique au XXème siècle »n°165-166, Paris, Présence Africaine, pp 19-25.

 

A propos de l’auteur: Ndeye Ami Diop

Doctorant, Science politique, Université Gaston Berger, Sénégal / PhD student, Political Science, Gaston Berger University, Senegal

Ndéye Ami Diop est un doctorat de deuxième année candidat en science politique à l’Université Gaston Berger. Son sujet concerne les scènes intellectuelles africaines et le renouveau des études africaines, notamment dans l’épistémologie des sciences sociales en Afrique. Mme Diop est également assistante de recherche au LASPAD (Laboratoire d’Analyse des Sociétés et des Pouvoirs / Afrique-Diasporas) et assistante temporaire au département CRAC (Civilisation Religion Art et Communication) de l’Université Gaston Berger.

Ndéye Ami Diop is a second year Ph.D. candidate in Political Science at Gaston Berger University. Her subject concerns the African intellectual scenes and the renewal of African Studies, particularly in the epistemology of social sciences in Africa. Ms. Diop is also a Research Assistant at LASPAD (Laboratory for the Analysis of Societies and Powers/Africa-Diasporas) as well as a temporary assistant at the department of CRAC (Civilization Religion Art and Communication) at Gaston Berger University.